Réflexion à mon sens majeure de cet entretien, cet extrait :
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C'est la fin de l'isolement du Phum, le village , et des campagnes.
Les 700 000 petites mains du textile ont établi le lien avec leurs
va-et-vient entre leur village et les usines, avec leurs téléphones
portables. C'est l'ouverture du Phum et l'amorce d'un changement
considérable.
Au
sein du Phum, la circulation de l'information était traditionnellement
verticale , elle passait par le chef du village et les chefs de famille.
Elle devient horizontale. Le
chef de village et la grande famille perdent de leur ascendant .
Il
s'agit d'un tournant géographique et social d'une portée considérable
qui ne sera pas sans conséquences politiques majeures.
....Autres extraits afin de vous illustrer l'intérêt de ce livre :
Question de M. Pomonti :
Comment l'espace s'organise-t-il dans un pays qui compte encore, de nos jours, 70 % de ruraux?
Le
cadre de la vie, au Cambodge, demeure le village, le Phum. Le chef du
village n'est pas élu mais le fruit d'un compromis entre les familles
car il faut bien avoir à l'esprit qu'au-dessus des familles, il n'y a
pas grand-chose, en tout cas pas de communauté structurée.
Entre
1997 et 2000, le PPC a voulu influencer la nomination des chefs de
village. En dépit de cela, beaucoup de nominations sont restées
consensuelles. Les gens ne manifestent guère d'intérêt pour les
élections communales, qui ont lieu tous les cinq ans. La commune (Khum)
est constituée d'un ensemble de Phums (villages) et la population de ces
Phums réunis va élire le maire. C'est là où le bât blesse car les
populations de ces différents Phums ne se sentent pas concernées par des
problèmes qui dépassent les limites de leur Phum.
En d'autres termes, la notion de commune n'existe pas dans l'esprit de la plupart des villageois.
Il existe un vide entre le Phum et l'État central et c'est pourquoi, quand il a gouverné (1953-1970), Sihanouk s'est rendu si souvent en province pour négocier lui-même, en d'interminables discours, le règlement des problèmes, faute d'une administration dont les échelons intermédiaires s'en chargeraient.
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En langage royal khmer, gouverner se dit par l'addition de deux mots: saoy (manger) et riec (le royaume) . Ce qui rend impossible le principe de succession.
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Pour qu'un système fonctionne durablement, il arrive un moment où il faut pouvoir remplacer les gens (l'usure, la mort, la maladie ...). Il faut y penser, prévoir, organiser. Au Cambodge, cela ne marche pas. Il n'y a pas d'organisation solide de la succession, qu'il s'agisse de la monarchie, du PPC, de la direction de l'opposition. Les successions ne s'opèrent pas.
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Autre question de M. Pomonti :
Il existe un vide entre le Phum et l'État central et c'est pourquoi, quand il a gouverné (1953-1970), Sihanouk s'est rendu si souvent en province pour négocier lui-même, en d'interminables discours, le règlement des problèmes, faute d'une administration dont les échelons intermédiaires s'en chargeraient.
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En langage royal khmer, gouverner se dit par l'addition de deux mots: saoy (manger) et riec (le royaume) . Ce qui rend impossible le principe de succession.
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Pour qu'un système fonctionne durablement, il arrive un moment où il faut pouvoir remplacer les gens (l'usure, la mort, la maladie ...). Il faut y penser, prévoir, organiser. Au Cambodge, cela ne marche pas. Il n'y a pas d'organisation solide de la succession, qu'il s'agisse de la monarchie, du PPC, de la direction de l'opposition. Les successions ne s'opèrent pas.
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Autre question de M. Pomonti :
S'il
y a un vide administratif entre le village et le pouvoir central, il
faut bien le combler d'une façon ou d'une autre. Que se passe-t-il
alors?
C'est à ce niveau qu'interviennent les Okhna. Ces personnages ont disparu du paysage en raison des guerres et le statut a été recréé au tournant du siècle. C'est une sorte de dignité royale qui s'achète, autour de 100000 $. L'Okhna est également invité à financer des projets du gouvernement: routes, éc les, hôpitaux. En échange de quoi, il bénéficie de faveurs, de privilèges. L'Oknha est la perpétuation de la relation patron-client , que le PPC a reprise à son avantage, en profitant de l'affaiblissement de l'institution monarchique, qui ne fait plus que contresigner les décisions du pouvoir.
Les cadeaux sont la base du système. En dessous des Oknha, il y a les Aekudom.
C'est à ce niveau qu'interviennent les Okhna. Ces personnages ont disparu du paysage en raison des guerres et le statut a été recréé au tournant du siècle. C'est une sorte de dignité royale qui s'achète, autour de 100000 $. L'Okhna est également invité à financer des projets du gouvernement: routes, éc les, hôpitaux. En échange de quoi, il bénéficie de faveurs, de privilèges. L'Oknha est la perpétuation de la relation patron-client , que le PPC a reprise à son avantage, en profitant de l'affaiblissement de l'institution monarchique, qui ne fait plus que contresigner les décisions du pouvoir.
Les cadeaux sont la base du système. En dessous des Oknha, il y a les Aekudom.
À l'égard de la population, l'esprit de ce système se résume très bien à la charité. Ce à quoi le bon peuple a droit, santé et éducation par exemple, lui est concédé sous forme de cadeau. On offre ainsi une école qui sera financée par un Oknha lors d'une tournée électorale en province. Le bâtiment verra
effectivement le jour, mais la question de savoir, par exemple, comment les enseignants seront payés relève d'un tout autre registre et ne sera pas abordée. En outre, fonctionnant sur le mode patron - client, un tel système est foncièrement hostile à l'adoption d'une fiscalité authentique. La fiscalité, cela veut dire l'existence d'une véritable administration , ce qui n'est pas dans l'esprit du Cambodge. D'où les freins naturels au développement d'une administration digne de ce nom. Les solutions sont politiques. L'alternance est impraticable.
L'usurpation est la conséquence de l'absence d'une organisation des successions. Mais c'est également pourquoi les usurpateurs, une fois leur forfait accompli, n'ont pas intérêt à changer le système. D'où les énormes réticences à adopter -et encore davantage, à appliquer- la loi ami-corruption élaborée en 1993.
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Plus loin dans l'entretien, autre question de M. Pomonti :
Concernant le Cambodge contemporain, vous semblez attacher une grande importance aux élections législatives de 2013? Vous avez même évoqué un tsunami.
48% pour le PPC , 44 % pour le CNRP ou Parti du sauvetage national du Cambodge. Quelle que soit l'étendue des fraudes, ce résultat est sans équivoque.
À mes yeux, c'est la fin de l'isolement du Phum, le village , et des campagnes. Les 700 000 petites mains du textile ont établi le lien avec leurs va-et-vient encre leur village et les usines, avec leurs téléphones portables . C'est l'ouverture du Phum et l'amorce d'un changement considérable.
Au sein du Phum, la circulation de l'information était traditionnellement verticale , elle passait par le chef du village et les chefs de famille. Elle devient horizontale.
Le chef de village et la grande famille perdent de leur ascendant . Il s'agit d'un tournant géographique et social d'une portée considérable qui ne sera pas sans conséquences politiques majeures.
En outre, le vote négatif affecte le centre du pays, la vallée du Mékong, le Cambodge utile. Le PPC, le pouvoir en place, ne domine qu'à la périphérie. C'est un événement majeur .